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Michel Host : Goncourt confidentiel

 

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Nous avons retrouvé le prix Goncourt 1986. Michel Host poursuit ses aventures narratives entre les Olympiades et la Bourgogne, à mille lieues du raffut de la rentrée littéraire.

Il était perplexe, au premier coup de téléphone. Pas du tout flatté, juste perplexe. Qu’a-t-il fait de si extraordinaire pour qu’on lui consacre un portrait ? Et de quoi va-t-il bien pouvoir parler ? « Ma foi, venez, si ça peut vous faire plaisir », finit-il par céder. Tout cela n’est pas très rassurant mais comme un lauréat du prix Goncourt ne nous paraît pas totalement dépourvu d’intérêt, direction le pays du Tonnerrois, dans le nord de la Bourgogne, où Michel Host prolonge l’été, à deux cent kilomètres de son appartement des Olympiades.

Dans ce tout petit village, dont il nous demande dès le début de taire le nom « pour préserver [sa] tranquillité », l’écrivain mène une vie des plus ordinaires et des plus modestes. Quand il s’installe dans son fauteuil, chaussé de ses pantoufles, c’est comme s’il retrouvait sa place d’avant notre arrivée, comme si rien ne devait perturber le calme de cette grande maison. Et soudain, la gêne nous gagne. Sensation désagréable d’avoir quelque peu forcé la porte d’un refuge qu’il n’était pas forcément disposé à nous faire partager.

Le choc et les haines

Qui est Michel Host ? Sur le papier, le prix Goncourt 1986. En réalité, un écrivain au long cours, romancier, novelliste, poète, chroniqueur et fondateur de revues. Il s’agace qu’on lui resserve, 26 ans plus tard : « Et le Goncourt, alors ? » Sa réponse débute par un soupir : « J’ai sans doute écrit un roman lisible... mais je ne regrette pas, cela a été bénéfique pour mes livres suivants, même s’il y a eu le revers de la médaille, voilà ! (regard interrogateur de l’interlocutrice)... Ce revers est bien négatif (nouveau regard)... Eh bien ! Cela vous vaut des inimitiés voire des haines ! On en restera là sur cette question. » Moins sur la défensive une heure plus tard, il finira par confier que cette récompense a « été un choc pour certains écrivains-journalistes », ceux du « milieu », il veut dire, ceux qui copinent. Et de maugréer : « Si vous essayez de penser autrement que par la doxa, ça ne marche pas. »

Lui s’est toujours bien gardé de fréquenter ces sphères. La rentrée littéraire, les bagarres d’éditeurs, les prix, ça ne l’intéresse pas. Et n’allez pas lui parler de carrière littéraire, il n’en a pas : « Pour faire carrière, il faut se plier à la médiatisation. Alors d’un, je ne sais pas faire et de deux, je n’ai aucune envie de savoir faire. J’écris, c’est tout. » Depuis le primé Valet de nuit qui était son deuxième roman, Michel Host a publié une vingtaine d’ouvrages. Ils n’ont eu qu’un faible retentissement car sans doute moins « lisibles », comme il dit, à l’exception d’une récompense plus confidentielle, le Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres. Plus intimistes, depuis 1993, il y a ses carnets, ceux des textes du quotidien, dont une grande partie est consultable sur son site, Host Scriptum, mais qui restent non publiés à ce jour.

Plus « digresseur » que poète maudit

Quand elle n’est pas dans son atelier, sa femme Danièle, artiste-peintre, rejoint parfois le salon. Elle apporte tarte aux prunes du jardin, vin blanc des Pyrénées et un peu de fluidité dans la conversation. Le jour où leur fille a pour la première fois pris un appartement, devinez à côté de quelle station de métro c’était... dans le mille : Goncourt ! Le reste de l’année, lorsqu’ils ne sont pas dans cette maison bourguignonne héritée des parents de Danièle, ils vivent depuis trente-cinq ans au dernier étage d’un immeuble des Olympiades, « subjugués par la vue » qui donne sur le nord de Paris. Du haut de sa tour, Michel Host observe, écrit et fréquente son petit monde littéraire, à défaut de l’autre. Sollicité pour lire en public ses textes ou ceux des autres, pour traduire de l’espagnol au français ou animer des ateliers d’écriture, l’écrivain se considère non pas comme un poète maudit mais comme un « digresseur » et fier de l’être - le mot est en gras dans l’autobiographie à disposition sur son site. C’est dire s’il prend des chemins détournés, s’il s’écarte du sujet, pour mieux le percer, peut-être.

« C’est incroyable cette pensée toute faite. L’homme est lâche, stupide, suiviste, incapable de penser par lui-même », dit-il pour reprendre la citation d’un défenseur des baleines lue dans Le Monde. Il est vrai que l'écrivain, si précautionneux quand il s'agit des détails de sa vie privée, n'hésite pas à livrer le fin fond de sa pensée. Ainsi se dit-il islamophobe - « j’ai peur de l’islam, vous n’avez pas peur de l’islam, vous ? Eh bien vous devriez ». Mais rien n'est simple avec cet homme. Au départ, confie-t-il, il y a cette photo qu’il découvre à l’âge de 11 ans dans la bibliothèque de sa mère. Une image des fours crématoires d’Auschwitz représentant « un squelette avec de la viande encore attachée. Ça a engagé ma vie. Je ne raisonne pas en clichés : “horrible Israëlien et délicieux Palestinien”, ou inversement. » Cette « songerie sur la guerre et ce qu’on a fait aux Juifs » l’obsède toujours. C’était d’ailleurs la toile de fond de Valet de nuit.

L’Ordre du Mistrigri

Peut-être est-ce simplement une impression d’ordre capillaire, mais on l’imagine jeune rebelle cheveux au vent, révolté par les errements d’une Espagne franquiste. « Je suis juste un mec qui observe », tempère-t-il, racontant ses souvenirs de tauromachie et ses rencontres avec des nobles ibériques. Une seule fois, témoin d’une scène de violence, il a « sauté sur la Guardia civil » et cela lui a valu d’être « à deux doigts de la taule ». L’Espagne n’a pas nourri ses écrits - « Pourquoi voulez-vous que j’écrive sur tout ? » -, mais lui a offert une carrière, une vraie. Agrégé d’espagnol, il enseigne la langue en lycée et la littérature du Siècle d’or, son « pêché mignon », au CNED. Et tout à coup, alors qu’on ne s’y attendait pas, le visage de Michel Host s’éclaire : « J’ai vécu des moments absolument fabuleux dans l’enseignement. C’étaient des cours passionnés et passionnants. » Sont-ce les deux ou trois verres de vin blanc, ou peut-être est-ce le temps passé ensemble, qui atténuent sa méfiance ? Ou la légèreté des sujets abordés ?

Nous parlerons de chats, par exemple. Ils sont tout sauf une mince affaire pour Michel Host, qui en possède trois et a fondé l’Ordre du Mistigri, en 2000. Article 1 : « Le chevalier s’engage à secourir tout animal en détresse, et singulièrement les chats, [...] sans jamais oublier que l’être humain participe également de la nature animale. » « On me dit naïf sur ma façon de penser et de vivre ». Le propre de l’auteur de fiction rêveur et décalé, sans doute.

 

 

Michel Host en quelques dates:

1942 : Naissance en Flandres

1956 : Premiers poèmes

1968 : Enseigne l’espagnol

1977 : Emménage en haut d’une tour des Olympiades

1983 : Premier roman, L’ombre, le fleuve, l’été, prix Robert Walser

1986 : Prix Goncourt pour Valet de nuit

2003 : Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres de France pour Heureux mortels


Publié par Virginie Tauzin  le 09 Octobre 2012
 

Commentaires  

 
0 #1 Bruges 27-01-2013 14:00
Cet ami perdu de vue m'a, entre autres, appris à jouer au Go. Je partage aussi son amour des chats (6 partagent mon quotidien).
Si je n'ai pas lu tous ses écrits, ceux que j'ai lu m'ont beaucoup plu. J'aimerais renouer avec lui et peut-être avoir l'honneur de l'Ordre du Mistigri.
Photographe et retraité dans la Sarthe. :-)
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