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13e Oeil | À la maison Cœur de femmes | Vies en reconstruction

 

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C’est une porte rouge anonyme qui ne laisse rien deviner de ce qu’elle renferme. « Cœur de femmes » est ce qu’on appelle un centre de stabilisation, un endroit pour se poser, se reposer, retrouver des forces. Un abri sans hommes. Ici, elles sont vingt-cinq, âgées de 20 à 64 ans, et chacune porte en elle quelque chose de douloureux. Un vendredi midi, lors d’un repas alsacien auquel nous sommes conviés, nous nous rencontrons pour la première fois. Certaines sont lointaines, dans leurs pensées. D’autres discutent. Les animatrices sont là aussi, tout sourire. C’est calme et animé à la fois.


« Peu parlent d’elles facilement », a prévenu Angélique Bérangé, la responsable de la maison. On est venu avec un projet : photographier des vies, dessiner des parcours, écouter des silences, instaurer une confiance. Au moment du café, c’est l’attention dans l’auditoire. Nous mènerions des entretiens individuels, nous écririons leurs témoignages sur l’avant Cœur de femmes, le pendant, mais aussi l’après. L’espoir. Plusieurs mains se lèvent sans hésitation. Elles inscrivent leur nom sur une feuille de papier. Elles sont six. Voici leur histoire.

Anne

Une grande silhouette brune et mince s’installe sur le canapé du salon, tout près du dictaphone. Enveloppée dans une veste polaire rouge, Anne serre ses bras autour de son ventre : « J’ai l’espoir que mon témoignage aide d’autres femmes qui ont vécu comme moi des violences. »  Le voici :

« J’ai 41 ans. Je suis arrivée dans la maison Cœur de femmes le 15 août 2012 via Halte aux femmes, un lieu d’accueil pour femmes SDF. Avant, j’habitais dans les Yvelines et c’est à la suite de mon incarcération de deux mois à la maison d’arrêt pour femmes de Versailles que je suis venue à Paris.

J’ai connu la violence conjugale pendant 15 ans. Mon fils aîné, lui, a vécu (silence) l’inceste et la pédophilie de la part de mon ex-mari et d’un ami de la famille, pendant six mois. Je savais ce qui se passait mais impossible de dénoncer, j’avais trop peur. Trop peur de l’emprise de mon ex-mari. Il y a eu la plainte d’une voisine, c’est comme ça que j’ai été arrêtée. En garde à vue, j’ai tout déballé [...]. La juge d’instruction ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas dénoncé avant. Mais je n’avais nulle part où aller, ni famille dans les environs, ni travail car j’étais en dépression depuis cinq ans. Maintenant j’attends le procès. J’ai confiance, je fais tout pour m’en sortir. Je ne risque rien.

Mes fils ont 17 et 15 ans aujourd’hui. Le premier est en famille d’accueil, l’autre dans un foyer. Je les revois régulièrement et on fait une thérapie familiale (elle sourit). On est en train de chercher pour moi une autre solution que le foyer. Je vois bien que ma place n’est plus ici. J’ai besoin de mon indépendance. La vie en collectivité est très difficile à vivre : il y a beaucoup de conflits entre femmes. Je m’isole de plus en plus. Au début, ça m’a fait du bien mais maintenant j’ai besoin d’autre chose. Il n’y a pas beaucoup d’espace ici, pas beaucoup d’intimité. Pour téléphoner à mon ami, je vais dans la cour ou carrément dans la salle de bains.

[...]

J’ai rencontré mon nouvel ami il y a près d’un an par l’intermédiaire d’une relation commune. Il connaît mon histoire et me soutient. Au début ça a été très dur pour moi, surtout au niveau de la... je vais vous parler franchement (silence)... au niveau de la sexualité. Il voulait me prendre dans ses bras et moi je restais en retrait.

Si ça m’est arrivé, tout ça, c’est parce que j’étais faible de caractère. J’ai toujours été faible, même enfant. Influençable. C’est surtout à l’adolescence que j’ai eu des soucis. Je me renfermais sur moi-même. [...] Avec mon mari, ça se passait bien jusqu’à la naissance de mon deuxième fils [...] Il me rabaissait tout le temps, me critiquait pour tout. J’habitais avec un inconnu. [...] Combien de fois j’ai voulu partir sans pouvoir. [...] J’ai fait deux mois en hôpital psychiatrique à cause de la dépression. À l’époque, je travaillais comme auxiliaire de vie, c’était usant, et puis avec ce que je vivais à la maison, un jour j’ai craqué.

La maison Cœur de femmes m’a beaucoup apporté. J’ai été soutenue par les animatrices, ma référente, ma psychologue. Pas tellement par les filles de la maison. Je ne me suis pas fait d’amies ici, juste des relations. Mais j’ai trouvé un accompagnement vers l’emploi, l’administration et bientôt vers le logement, j’espère. Pour moi c’est un tremplin. Si je n’avais pas eu la maison, je n’en serais pas là. Maintenant j’ai un projet qui me tient à cœur, et j’espère que ce témoignage va m’aider à le lancer : je voudrais ouvrir une structure comme celle-ci, mais pour les enfants. Et aux Antilles, car mon compagnon est Antillais. »

[...]La suite dans Le 13 du Mois #29

Publié par Virginie Tauzin  le 06 Mai 2013
 

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