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CULTURE | Niki de Saint Phalle, une expo à voir

 

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Le billet de Michael Lecomte, essayiste et expert en art moderne

C’est le peintre américain Hugues Weiss, que j’ai bien connu, qui a encouragé Niki de Saint Phalle à devenir mannequin dans sa dix-huitième année. Elle aurait pu ne faire que ça ; mais une personnalité de cette trempe ne pouvait se contenter du relatif confort d’une vie exclusivement narcissique.

Voilà donc une exposition/hommage (au Grand Palais jusqu’au 2 février) consacrée à une femme qui évoque dans notre mémoire son engagement pour le rôle que la femme joue dans la société, son obsession du tragique, mais aussi de la féminité, de la fraîcheur, de la poésie et de la liberté. Sa rencontre avec Jean Tinguely, qui sut si bien se mettre au service de sa femme, a quelque chose d’idéal puisqu’elle permit d’animer avec bonheur des sculptures exceptionnellement riches en couleurs. Entre beaucoup d’autres choses remarquables, cette union nous a offert la belle et surprenante fontaine située au côté du Centre Pompidou et dédiée à Igor Stravinsky.

 

Notre époque étant soumise au bruit et au spectacle à tout prix, la responsable de l’exposition, qui semble ignorer que arts plastiques ne s’écrit qu’au pluriel, n’a pas manqué de donner le feu vert à la gigantesque affiche de l’événement (l’accroche du Grand Palais) et la couverture de l’album du musée à partir d’une photo des tirs, période la moins intéressante - car la moins inventive - de cette artiste hors du commun. On sait que c’est cette courte période qui l’a fait connaître, la célébrité étant venue peu après avec les fameuses Nanas. Mais entre les tirs et les Nanas il y a une Niki de Saint Phalle peu connue, qui a réussi l’exploit d’entrer dans l’histoire de l’art à l’âge de vingt-huit ans.

Il y a dans cette exposition malheureusement peu de peintures des années cinquante. Dans ces années-là, la jeune Niki, en plus de sa fougueuse audace, montre très tôt les qualités dont dépend toute bonne peinture : sensibilité, liberté, puissance, et la plus importante, l’inventivité. C’est bien Jackson Pollock qui a fait connaître le dripping (1) mais c’est Niki qui la transcendé en l’associant au figuratif.

 

Le plus étonnant est que dans l’autoportrait sur bois de 1958, conçu sur une base de peinture piquée de grains de café, de galets et de vaisselle brisée, on reconnaît Niki. Elle a beau s’être enlaidie par d’inquiétantes marbrures, il s’agit bien du regard grave d’une jeune femme qui semble rassembler les morceaux déjà épars de sa vie pour construire sa personnalité et nous dire : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! »

 

Et nous voyons en effet, car avec le Nu rose dans un paysage (tranquille beauté des titres simplement descriptifs !) conçu peu de temps après, nous sommes face à l’exceptionnel. Et nous sommes étonnés, car confrontés à un univers d’un genre purement art brut - Saint Phalle fut autodidacte - mais qui prend appui sur une technique dans le vent (le fameux et trop célèbre dripping), d’où cette agréable impression de découvrir une Picassiette (2) inconnue et étonnement douée.

 

Il faut dire toutefois que plus loin dans le musée nous croiserons certaines Nanas peu enthousiasmantes car trop soumises au phénomène décoratif, ou bien, défaut tout aussi réducteur, à l’anecdote (Nana verte au sac noir, la Rosy noire…). La fougue de Niki lui a parfois fait oublier que le langage plastique obéit à des contraintes qui sont aussi des lois. Nous serons surpris aussi de découvrir dans des personnages de taille imposante de l’année 1971 des visages très chaissaquiens (3). Mais nous serons ravis par les nombreuses sérigraphies que Camille Morineau a eu la bonne idée d’exposer. Chacune d’elles est la page d’un journal intime plus ou moins imaginaire. Leur réussite tient en partie à un premier passage blanc cassé, idéal pour la bonne entente de couleurs très primaires. L’ensemble, merveilleusement ludique, est surtout beau grâce à l’une des qualités majeures de cette étonnante artiste : la liberté.

 

On prêtera, plus loin, attention à la grande et belle figure féminine aux formes évidées, placée en hauteur et animée par des lumières.

 

La grande composition intitulée Rêve de Diane est une très impressionnante et très belle sculpture mais un peu compliquée par trop de couleurs, trop de détails, un peu trop de tout…

 

L’ensemble est une exposition singulière qu’il faut voir.

 

N’oublions pas aussi de saluer une artiste qui fut jusqu’au bout fidèle à son rêve, très tôt exprimé, d’avoir un destin extraordinaire, et qui à force de respirer les poussières générées par son travail, a payé de sa vie son effervescence créatrice. 

 

(1) Dripping, de l’anglais to drip : laisser goûter. Procédé qui consiste à faire couler en un mouvement de balancier différents filets de peinture sur une toile placée sur le sol.
(2) Picassiette : surnom donné à Raymond Isidore, artiste français autodidacte ayant entièrement décoré sa maison et son jardin avec des morceaux de vaisselle.
(3) Du nom de Gaston Chaissac, un des plus passionnants peintres français, orgueil de toute grande collection privée ou publique.

 

Publié par Michael Lecomte  le 08 Janvier 2015
 

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