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13e Œil I À la conquête de la Luna

 

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D'abord installés dans les Frigos, puis rue du Chevaleret, les studios Luna Rossa sont désormais implantés dans un immeuble moderne de la rue Primo-Levi. Trente ans après leur création, ils demeurent une institution incontournable de l'univers musical du 13e  arrondissement, une place forte de la musique à Paris.

L’endroit n’a pas vraiment pignon sur rue. Aménagé dans la façade d’un immeuble récent, jouxtant l’entrée d’un parking, un renfoncement est surmonté d’un simple logo. Une étoile rouge, une discrète mention « studio » et « Luna Rossa » écrit en lettres noires. Au fond du couloir, derrière la lourde porte, un escalier en béton, sombre, étroit et raide, plonge vers un rectangle de lumière. Qui imaginerait que cette entrée presque confidentielle située au 24 rue Primo-Levi donne accès au plus grand studio de répétition de Paris : 29 salles sur 2 000 m2. Dans le hall de « la Luna » – comme les habitués surnomment les studios –, l’effervescence est à son comble. Derrière le comptoir, les membres du staff s’agitent autour des plannings de réservation. C’est le changement d’heure. En quelques minutes, étuis de guitare sur le dos et de synthétiseurs à la main, les musiciens libèrent des salles que d’autres investissent dans la foulée. Ce soir, l’affluence est maximale. Proximité de la fête de la musique oblige, les groupes viennent répéter en prévision des concerts.


Affiche du prochain concert du groupe Cannibal Corpse placardée sur un pilier en béton ; guitares et basses à louer suspendues à leurs râteliers ; amplis Marshall et Hartke, « fûts » de batterie entreposés sous l’escalier qui mène à l’étage : la tonalité du lieu – dont les couleurs dominantes sont le noir et le rouge – est clairement rock. Et sur un mur, en immenses lettres blanches sur fonds noir, une citation extraite de La Tempête, une pièce de William Shakespeare : « All the Devils are Here ». Certes, quelques « diables » sont bien là. Cheveux longs, tee-shirts noirs, pantalons kaki, vautrés dans les canapés en cuirs, quatre membres d’un groupe de métal débriefent après leur prestation. De l’étui rigide d’une basse sont exhumées quatre cannettes de bière. Mais rapidement, la conversation s’oriente sur leur déplacement du week-end pour assister à la 10e édition du Hellfest, qui se déroule du 19 au 21 juin à Clisson, en Loire-Atlantique. « Qui aurait un sac de couchage à me prêter ? » « J’espère qu’il fera beau mais pas trop chaud, car une année c’était presque insupportable. »

Un « sas de décompression » pour les musicos

 

Les « métalleux » ne sont pas les seuls à fréquenter la Luna. L’endroit est une véritable ruche dans laquelle se mélangent tous les looks, tous les styles, tous les âges. Dans le hall, flûte traversière sous le bras, un musicien cubain venu répéter avec Sergent Garcia déambule devant le plus grand ampli basse du monde. Destiné aux salons de musiques, cet objet de près de 600 kilos a été offert aux studios par le fabricant AMPEQ, qui l’a acheminé par cargo depuis les États-Unis.

Quelques enfants, cymbales sur le dos et baguettes en mains rejoignent leur cours de batterie dispensé à l’étage par l’Institut parisien du rythme. En montant l’escalier, ils passent devant deux « reliques » des premières heures des studios : le buste d’Elvis et la silhouette en carton de Superman trouvée sur un trottoir devant une librairie de bandes dessinées. Dehors, sur la terrasse encore ensoleillée, les musiciens font une pause cigarette en profitant des chauds rayons du mois de juin. Pour ceux qui ont achevé leurs répétitions, ce sont les derniers échanges avant de se séparer. D’autres, assis, relisent, corrigent et annotent les partitions. Des moments de détente et de convivialité. « On vient à la Luna pour se lâcher après le boulot, explique un grand type en costume qui travaille du côté de Bercy. La salle de répète, c’est un peu comme un sas de décompression. Ça agit comme une soupape. Idéal pour s’aérer l’esprit. »

Une salle propre avec du matériel de qualité : une première à Paris

Deux anneaux dans l’oreille gauche, tee-shirt rouge logoté « Luna Rossa », jeans troués au genou, Converses, Pascal gère depuis trente ans – avec Guillaume et Vincent –les studios Luna Rossa. S’ils sont tous les trois polyvalents, chacun possède tout de même sa spécialité. Guillaume s’occupe plus spécifiquement des aspects administratifs et comptables, Vincent de la gestion du parc de matériel et Pascal, volontiers volubile, de la communication et des relations extérieures. Tous les trois sont musiciens, Vincent joue de la batterie, Guillaume de la guitare et Pascal du saxophone. « En 1976, j’ai découvert les Sex Pistols, explique ce dernier, et cela a tout changé. Ensuite, j’ai assisté à un concert d’un groupe de potes au Gibus et je me suis dit que, moi aussi, j’allais jouer sur la scène du Gibus. J’étais coursier et j’allais prendre des cours de saxophone tous les midis à Pigalle. Un an plus tard, je montais sur la scène du Gibus. »


À travers la baie vitrée du hall, à quelques dizaines de mètres, Pascal montre les murs tagués des Frigo de Paris, là où tout a commencé. « Vous voyez la lucarne dans le “Y” au quatrième étage, on était installé là. Et, actuellement nous sommes à l’emplacement des anciens rails de chemin de fer de la SNCF. » Originaire du 13e arrondissement, Pascal fréquentait les Frigos au début des années 80. Du métro, il fallait remonter des masures sur près de 800 mètres, cela ressemblait à des bidonvilles et « au bout de la route, des bâtiments abandonnés ». En 1985, Cyril, un de leurs amis, décide de monter des studios de répétitions dans les Frigos. Mais seul, il est rapidement dépassé par la tâche. Au bout de quelques semaines, il fait appel à ses trois copains et à son père pour l’aider. Leur souhait est de créer une salle de répétition bien entretenue, propre, avec du matériel de bonne qualité. « Il fallait voir ce qu’étaient les studio de répétitions à cette époque : des parkings qui sentaient l’urine et des locaux tenus par d’anciens toxicos. Le matos n’était pas terrible et les lieux pas vraiment sécurisés. »

11 ans dans les Frigos

En 1985, ils créent donc l’Acam (Association culturelle, artistique et musicale) au statut associatif. Deux ans plus tard, la SARL est lancée et Luna Rossa devient le nom du studio, « en souvenirs d’un rade que l’on fréquentait lors de nos vacances à Ibiza ». À l’époque, à la manière des studios de répétition américains, le lieu est ouvert 24 heures sur 24. « Il y avait même une mezzanine avec des matelas pour que les gars puissent dormir un peu pendant la nuit », précise Tai-Luc, qui se joint à la conversation en attendant que les autres membres de La Souris Déglinguée arrivent. Les membres de L.S.D. sont des fidèles qui viennent à « la Luna » depuis l’ouverture des studios. Le rock alternatif français fait partie intégrante de l’ADN des studios Luna Rossa. D’ailleurs Pascal a lui-même joué en tant que saxophoniste sous le pseudo de Pascal Kung Fu, avec Bérurier Noir et Molodoi. Aujourd’hui encore, on croise aux studios Bruno Garcia, l’ancien de Ludwig von 88, qui vient répéter avec son groupe Sergent Garcia.
« On s’était installé et on a acheté du matos, raconte Vincent. Et quand on gagnait un peu d’argent on achetait des pa

rpaings, du ciment et on montait des murs pour créer une nouvelle salle de répétition que l’on essayait d’insonoriser comme on pouvait. À l’époque il n’existait qu’un ou deux studios dans Paris. On ne les connaissait pas et on pensait même que nous étions les premiers. » Au final, ils construisent sept salles sur près de 400 m2 aux Frigos, qu’ils finissent par quitter en 1996.

 

Pascal évoque deux raisons principales. D’abord, les studios « Luna Rossa » connaissaient un vrai succès avec une fréquentation en augmentation constante. Pour répondre à cette demande, il était donc nécessaire de trouver un lieu plus spacieux dans lequel aménager plus de salles de répétition pour accueillir plus de monde. Ensuite, il existait des problèmes de voisinage. Notamment avec le collectif de peintres de « Frigo 6 » installés juste en-dessous. « Nous nous entendions bien avec eux mais on les dérangeait avec le bruit, s’amuse Pascal. Ils dormaient sur place. Or, le studio était ouvert toute la nuit et il y avait une mauvaise insonorisation d’un étage à l’autre. Les vibrations des instruments se transmettaient via la dalle de béton, aux tuyaux – qui servaient auparavant à la circulation d’eau glacée nécessaire à la réfrigération des frigos – qui couraient au plafond du dessous. Dès qu’un musicien jouait une note, les tuyaux tremblaient et propageaient le son dans tout l’étage. Du coup, pour les dédommager, on payait leur loyer. »
Pourtant, de nombreuses expériences d’insonorisation ont été tentées. Sans grand succès. « On a même essayé de réaliser des chapes en sable. On remplissait de grosses poubelles en plastique rondes de sable récupéré près des sablières installées le long des quais de la Seine. Et après on les montait par les escaliers jusqu’au quatrième étage. »

 

La suite de cet article est à retrouver dans Le 13 du Mois N°53

 

 

Publié par Olivier Thomas  le 23 Juillet 2015
 

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