ROMAN – L’enfant tombée des rêves, Marie Charrel

Culture

Balagane, quand tu nous tiens

Second roman pour Marie Charrel, qui s’inspire de son vécu pour s’attacher aux pas d’une ado surdouée noyée dans un quotidien de frustration, tandis qu’en Islande, un inconnu contemple le néant.

« Que sont les adultes, au fond, si ce n’est des enfants dont les blessures ont mal cicatrisé ? », conclut Émilie Dunant, au bout de son aventure. L’héroïne du second roman de Marie Charrel énonce cet aphorisme serein des années après avoir bravé la drôle d’enfance qui nous est racontée. Élevée par une mère éteinte et un père fuyant, Émilie ne peut survivre qu’accompagnée de Croquebal, le mangeur de mots. En guise de croquettes, elle lui dégote, à douze ans, des mots nouveaux tels que « kyrielle » ou « oriflamme », tout en jugeant que « “procrastination” sent l’accra de morue ». Ce sont ses parades au « balagane », le « bordel » (en hébreu) qu’elle subit au collège, où elle est un souffre-douleur, et qu’elle occasionne chez elle, où ses étranges peintures émeuvent ses parents bien plus que de raison. Il y a un mystère derrière tout cela, qu’il lui faudra résoudre.

Très loin de là, un homme s’est isolé au milieu des afturganga, ces mauvais esprits qui peuplent la terre islandaise. Lui « ne supporte plus de côtoyer les espoirs envolés » et se terre.

Poésie et intrigue légères parsèment ce récit couplé de l’enfance malheureuse et de la vieillesse amère. D’Annecy à l’Islande, les deux histoires, longtemps, évoluent en parallèle avant de se croiser, inévitablement. Sachez seulement qu’Émilie est une « enfant posthume », selon ses propres termes. Elle est également le double de l’auteur, une métaphore pour dire l’éclosion de la vocation d’écrivain.

Dans Une fois ne compte pas (Plon, 2010), Marie Charrel montrait déjà son appétence pour les triturations du langage. L’enfant tombée des rêves n’en manque pas, qui singularise cette jeune écrivain par ailleurs journaliste au Monde et citoyenne en titre du 13e. L’auteur, grandie à Annecy, fait à l’évidence parler son propre passé, ses craintes et son désir d’écriture, autant de thèmes communs aux premières œuvres littéraires. Incarnée par cette petite fille amoureuse des mots, la leçon de vie se fait toute printanière. C’est de circonstance.