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DOSSIER | BUTTE-AUX-CAILLES 1970-1990 : Des voyous aux anars

 

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La Butte rebelle, des mauvais garçons, des anars et des zikos des années 70-80, légende ou réalité ? Parmi les derniers arrivés circulent volontiers belles histoires et anecdotes savoureuses sur la Butte-aux-Cailles du passé, prolo voire mal fréquentée. Pour le bobo, ça fait chic de s’encanailler en habitant un quartier autrefois malfamé… Avec la Butte, on est servi. Fort des combats de la Commune de 1871, le quartier a aussi ses légendes urbaines sur le grand banditisme et sa tradition anarchiste, avec des personnages presque mythiques comme Ramon Finster. L'éclosion musicale de "Cultures au quotidien", au début des années 80, semble aussi avoir sonné le glas de l'ambiance village du quartier. Qu'en est-il vraiment ? Nous avons mené une enquête de terrain de plusieurs semaines à la rencontre de ceux qui ont vécu et fait la Butte d'antan.



LA BUTTE DES MALFRATS, PLUS RÊVÉE QUE RÉELLE

 

Malfamée la Butte-aux-Cailles des années 70 et 80 ? C'est ce que veulent faire croire certaines histoires. La réalité serait plutôt celle d'un quartier qui a accueilli des bandits certes, mais surtout pour des parties de carte. Un repaire plus qu'un endroit dangereux.


La Butte-aux-Cailles était-elle le point de rendez-vous des truands et des braqueurs ? Hamed, gérant du bar À la bonne cave, situé au 11 rue de l'Espérance, n'hésite pas à parler de « quartier dangereux où sévissaient les règlements de compte », « d'un repaire de voyous », « d'un coupe-gorge dans lequel les femmes ne sortaient pas seules le soir ». Lui qui y a posé ses valises au milieu des années 80, mais qui a grandi non loin, se rappelle d'une Butte d'une autre allure : des petites ruelles pavées sombres, aucun arbre, des voitures garées n'importe où et n'importe comment. Pour lui, c'est clair, l'ambiance était franchement glauque. Des mauvais garçons avec des flingues, il y en avait. Fraîchement débarqué de son Maroc natal comme étudiant, Abdel Ajenoui se rappelle une anecdote à l'été 1978 : « Il est 20 heures, il fait encore jour. Je remonte la rue de la Butte-aux-Cailles, et quand je passe devant un bar, un type sort en courant. Derrière lui, un homme d'une cinquantaine d'années se jette à sa poursuite et l'injurie, pistolet à la main. Il tire deux fois, je vois les impacts sur le mur. Le jeune parvient finalement à tourner vers la rue de l'Espérance. Au moins cette fois, il s'en est sorti. »

 

« PAS LE FAR WEST »

Y avait-il des bandes sur la Butte dans les années 70 et 80 ? Personne n'en a jamais vu. Du racket, des bars clandestins ? Pas davantage. Mais concernant les bandits, les malfrats, les avis divergent. Jacques (1) est un inconditionnel de la Butte, il dit vivre là depuis « soixante-cinq ans ». Nous le rencontrons dès potron-minet au Village de la Butte. Il se souvient, presque avec nostalgie, d'un « royaume de la bredouille ». Quand on le lance sur les mauvais garçons qui ont pu passer dans le coin, l'homme est disert, raconte volontiers. Mais il tient à faire la part des choses. « Oui, certains mecs fichés au banditisme venaient, notamment de Villejuif et d'autres endroits de la banlieue sud, boire des coups et jouer aux cartes. Oui, des mecs se flinguaient entre eux. Mais c'était pas le Far West non plus », insiste-t-il.

Foutaises et légendes urbaines, pensent en effet de nombreux autres habitants. Les petites frappes et les cambrioleurs du dimanche grouillaient, comme partout à Paris. Les vrais méchants beaucoup moins. « J'ai connu deux ou trois arsouilles, des truands à deux balles qui traînaient dans le quartier, mais c'est tout », lâche Vincent Absil. Le chanteur de folk et de blues, figure du groupe Imago qui a connu son heure de gloire dans les années 70 et 80, est arrivé sur la Butte en 1969. Autant dire qu'il en connaît un rayon. L'homme nous reçoit dans son appartement situé en face de la Folie en tête, un capharnaüm de guitares. Pour lui, la vraie Butte rebelle c'est celle de l'épisode insurrectionnel de la Commune de Paris en 1871. Depuis, rien de flagrant à signaler. Jérôme Pierrat, journaliste spécialisé dans le banditisme, le confirme : la Butte n'est pas un lieu réputé pour ses truands.

 

LES RIDEAUX BAISSÉS, DES PARTIES DE CARTES AU FOND DU BAR

Il ne semble effectivement pas que la Butte ait été un quartier dangereux. Les habitants disent ne jamais avoir été importunés, ni inquiétés. « Les banques avaient plus à craindre que les riverains », plaisante José, ami de Ramon Finster, qui avoue avoir été « un peu truand ». Claudine Castel, de l'association Les Cailleux, arrivée sur la Butte en 1969, parle de « coexistence pacifique, même si c'est emmerdant d'entendre un coup de feu et qu'un mec crève. » Personne ne nie pour autant que certaines figures du banditisme aient pu se retrouver sur la Butte, dans tel ou tel bar. Un établissement ressort entre les autres : Chez Michel (lire après). Mais ils se faisaient discrets. « Au début des années 80, quand on ne vous connaissait pas dans un troquet, vous étiez soit un flic, soit une balance. Il fallait montrer patte blanche pour être accepté », se souvient Pascal Dubroca, chanteur et habitant de la Butte depuis 1981. Mesrine ? « Il ne s'est pas présenté ! », ironisent certains. On soupçonne qu'il ait pu avoir une chambre sur la Butte mais l'ennemi public numéro 1 d'alors est resté célèbre dans le 13e pour son arrestation rocambolesque rue Vergniaud en 1973.

[...] La suite dans le 13 du Mois #24

 

Publié par Éloïse Fagard & Philippe Schaller  le 11 Décembre 2012
 

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