Culture : C'est en banlieue du 13e que ça bouge | Dossier |
Mais, experte pour s’adapter aux situations les plus précaires, cette population se tourne vers de nouveaux horizons. Par-dessus le périph', l'avenir du squat serait-il plus radieux ? Ou alors faudrait-il mieux abandonner ce mode de vie pour se rapprocher de la « normalité » ? La question se pose, la réflexion avance. Les nombreuses friches des villes périphériques, leurs bâtiments vides, leur surveillance policière sans doute plus relâchée que dans la capitale sont autant d'arguments en faveur du décentrement de l'expérience. Parmi les agglomérations du périphérique sud, c'est Ivry qui concentre, de loin, le plus de squats. Mais pas seulement : avec ses voisines, elle voit émerger des espaces culturels d'un genre nouveau. Ils ont pignon sur rue, sont habillés d'affiches annonçant des événements de toutes natures et, surtout, ils sont ouverts au public. Rien à voir avec l'obscure confidentialité d’un squat. Très diverses dans leurs formes et dans leurs statuts, ces initiatives se multiplient : de façon individuelle mais avec une conscience collective grandissante qui les qualifie de « fabriques », et travaille ainsi à la définition du phénomène.
Ses traits principaux : la diversité des esthétiques, le temps accordé à la création, un rapport intime avec l'espace urbain. Un laboratoire culturel, en somme, qui tranche avec la BNF, le Théâtre 13 et autres institutions culturelles du 13e plus formelles, plus rigides que ces structures hybrides que nous découvrons de l'autre côté du périph'.
Du squat à la fabrique, la banlieue à la pointe de l'alternatif ? Pour eux, l'art officiel fait pâle figure, il est le domaine de l'élitisme et du conformisme. Eux, ce sont les artistes de la marge, ceux que nous avons rencontrés au-delà du périphérique sud. Derrière l'hétérogénéité des profils, une constante se dégage : tous se voient au summum de l'alternatif. Alors, la banlieue, nouveau terrain de la modernité artistique ? Dans les fabriques, sans doute. Les squats d'artistes, eux, semblent en perte de vitesse et se limiter à des utopies sociales sans grande consistance.
Avec son enseigne rouge criard posée sur sa carcasse de vieilles pierres, annonce la couleur. Dans cette ancienne gare de reconvertie en 1996 en « fabrique d'objets artistiques », on abat toute barrière entre l'art et la cité, entre public et artistes, entre professionnels et amateurs. Toutes les oppositions qui régissent le théâtre, et plus largement l'art officiel, volent joyeusement en éclat. Pour autant, il n'est pas question de faire n'importe quoi. « On n'est pas là pour s'amuser », semble exprimer le visage concentré de Mustapha Aouar, « aiguilleur mais pas conducteur du lieu », tient-il à préciser. Un sérieux en partie lié aux circonstances.
La fabrique : un modèle en plein développement
Car au moment où nous le rencontrons, entre le 19 et le 28 janvier 2012, le gérant du lieu veille au bon déroulement de la quatrième édition de Frictions urbaines. Série de débats sur le rôle et l'avenir des fabriques, cet événement organisé par Mustapha Aouar rassemble des acteurs culturels venus de la France entière, dont un bon nombre de la banlieue sud. À l'animation des discussions et à leur rigueur intellectuelle, il ne fait aucun doute que les personnes réunies ont le sentiment de partager des valeurs similaires. Ces rencontres permettent à tous ces foyers de création initialement isolés de sortir de l'ombre, de s'affirmer comme un groupe sinon organisé, du moins en pleine structuration. Autre(s)pARTs, plate-forme de discussions et d'échanges sur les rapports entre arts, populations et territoires, ainsi que le réseau Actes if qui fédère des fabriques franciliennes sont les organes principaux d'articulation entre ces expériences. Loin d'être centralisées, celles-ci couvrent le territoire au gré d’initiatives locales. Assez peu nombreuses à Paris et inexistantes dans le 13e, elles ont plutôt tendance à se développer par-delà le périph' pour investir des terrains assez pauvres culturellement, pour s'opposer aux grandes institutions culturelles, et enfin éviter les loyers dispendieux de la capitale...
La suite dans Le 13 du Mois # 15
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Publié par Anaïs Heluin le 06 Avril 2012 |