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DOSSIER | Chinatown raconté par ses habitants

 

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Il y a quarante ans, le Triangle de Choisy, délimité par les avenues d’Ivry, de Choisy et le boulevard Masséna, n’était pas Chinatown. Pas de phở au coin de la rue, pas de lampions en papier rouge, pas même de Tang Frères et de Paris Store. C’était pourtant le début de quelque chose : de l’autre côté du globe, la mer de Chine ne tardera pas à être prise d’assaut par les boat-people fuyant les régimes communistes. Ces immigrés, qui ont investi les tours et fait du quartier ce qu’il est devenu, avaient une vie avant le 13e. Un travail, une maison, une famille. Il s’en est fallu de peu pour que l’on n’ait rien à écrire dans ce dossier, tant les langues sont liées et les yeux fermés sur leur exode et leurs conditions d’intégration. Quelques-uns ont fait exception et accepté de faire la lumière sur une période qui a marqué à jamais l’histoire du 13e arrondissement.

« Les Asiatiques ont toujours peur du communisme. Ça marque trop. Quand on voit cela, on ne s’en remet pas. » Mme Alice, Waisee de son prénom chinois, sait à quel point les histoires s’enfouissent et combien il est inutile d’espérer qu’elles ressurgissent. « C’est du passé, c’est fini », tranchent la plupart des habitants du quartier asiatique approchés. Ils n’ont pas le temps, sont trop timides ou même ne se souviennent plus... « Nous n’aimons pas parler de choses négatives, évoquer les mauvais souvenirs. Même entre nous et même à nos enfants », ajoute Eng Sin, vice-présidente de l’Association des résidents en France d’origine indochinoise (ArFoi). Pourtant, il y eut bien un avant et un après l’exode, pour le 13e, bien entendu, dont un quartier, le Triangle de Choisy, s’est complètement transformé, mais aussi pour ces milliers d’arrivants. Le tournant d’une vie.

L’histoire se raconte d’abord à grande échelle : près de la moitié des Asiatiques de France, et une large majorité de ceux qui vivent dans le 13e, sont venus lors de cette vague d’immigration de la fin des années 1970 et du début des années 1980. « La politique d’accueil de la France a été incroyable », raconte Francis Phomnouansy, 32 ans, né en France mais dont les parents ont émigré du Laos. Une politique incarnée par Bernard Kouchner, alors l’un des responsables de Médecins sans frontières, qui se lance dès 1979 dans une opération de sauvetage nommée Un bateau pour le Vietnam. Un comité d’intellectuels composé de Jean-Paul Sartre, Raymond Aron ou André Glucksmann se joint à cette médiatisation en promouvant l’opération auprès du président Valéry Giscard d’Estaing. Depuis la chute de Saigon et l’arrivée des communistes en 1975, des milliers de Vietnamiens fuient le pays sur des embarcations de fortune. Ce sont les boat-people. Beaucoup y laissent leur vie. Les quelques images diffusées dans les journaux télévisés — et consultables sur le site de l’Ina — frappent l’opinion publique. « Il ne faut pas oublier qu’au-delà de la solidarité, la France voit dans cette immigration de la main d’œuvre, particulièrement en informatique », précise Francis Phomnouansy. Et qu’en juillet 1979, lors de la conférence internationale de Genève sur les réfugiés indochinois, le pays s’est engagé à contribuer à leur réinstallation.

Dans le 13e, des espaces vides à occuper

À l’autre bout de la planète, c’est la Croix-Rouge qui assure les transferts vers la France, les États-Unis, les Pays-Bas, l’Angleterre... De nombreux Vietnamiens, mais aussi des Cambodgiens fuyant l’arrivée des Khmers rouges en 1975 et des Laotiens voulant échapper au nouveau régime communiste (voir encadré), rejoignent, dans des conditions parfois extrêmes, des camps de réfugiés à Hong Kong ou Bangkok. De là partent des avions pour le pays d’accueil. À l’aéroport Charles-de-Gaulle, Jacques Chirac en personne vient réceptionner les passagers d’un avion affrété par la Ville. « Dans un premier temps, nous allons les accueillir dans un centre ; dans un second temps nous allons les insérer définitivement », s’exprime le maire de Paris. 125 000 réfugiés d’ex-Indochine trouvent alors asile en France. La plupart sont des Chinois immigrés en Asie du Sud-Est il y a plusieurs générations. « Il y avait quatre centres de transit en région parisienne, dont Herblay et Sevran, je crois, raconte Mme Eng Sin, de l’ArFoi. Les médecins venaient faire des visites de contrôle. Ensuite, au bout de trois mois maximum dans le foyer, les personnes étaient envoyées dans toute la France. Ceux qui y avaient déjà de la famille pouvaient se rendre auprès d’elle, les autres n’avaient pas le choix de leur destination. » Telle coiffeuse de l'avenue de Choisy a alors grandi à Tourcoing, tel restaurateur voisin a posé ses bagages à Vienne, d’autres ont été dirigés vers la Seine-Saint-Denis, le Val d’Oise, la Bretagne, Marseille...

À Paris, à ce moment-là, un espace immense reste à occuper : les tours de trente étages construites dans le cadre de l’opération Italie 13 quelques années auparavant près des portes de Choisy et d’Ivry. Laissées vacantes par les Parisiens, particulièrement par les jeunes cadres, auxquelles elles étaient destinées, elles seront investies par les Sud-Asiatiques débarqués à Paris. « Pourquoi le 13e ? Parce qu’il y avait de la place et que c’était très peu cher, se souvient le Sino-cambodgien Hong Trang. Comme nous avons été assez soudés, c’est allé très vite. Tous ceux qui étaient à Paris se sont regroupés là. » Pour Francis Phomnouansy, la raison pour laquelle les Asiatiques ont choisi cet arrondissement est avant tout... alimentaire : « Que font les gens qui se sentent perdus dans un pays étranger ? Ils cherchent à manger comme à la maison. Et où est-ce qu’on mangeait comme à la maison ? Chez Tang [ouvert en 1976, ndlr]. » D’autres emplacements, plus ou moins laissés à l’abandon, trouvent repreneurs. Bientôt, grâce à la tontine, ce système d’entraide financière communautaire, la plupart des fonds de commerces du Triangle de Choisy, que l’on a progressivement appelé « Chinatown », deviendront des ateliers de confection puis des restaurants.

[...]

La suite du dossier à découvrir dans Le 13 du Mois #36

Publié par Virginie Tauzin  le 15 Janvier 2014
 

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