Dossier

Entretien avec Pascal Dibie, ethnologue et professeur à l’université Paris VII-Diderot, directeur du pôle Sciences de la ville

Vous qui fréquentez ce quartier quotidiennement, quelle impression vous laisse-t-il ?

Non seulement j’y travaille, mais cela fait trois-quatre ans que je l’étudie. Je dirais d’abord que c’est un quartier à flux, où on ne vit pas. Vivre dans un quartier, c’est occuper l’espace, se rendre chez son cordonnier, son boulanger. Ici, il n’y a pas d’espaces de rencontre. Pour moi, c’est un non-lieu. Un lieu neuf, certes, mais un non-lieu quand même. Il me fait penser à Brasilia, une ville que je connais bien, conçue entièrement en 1960 par Oscar Niemeyer. Dix-mille personnes y arrivent chaque matin pour y travailler et en repartent chaque soir. À part ça ? Rien. Or un quartier, comme une ville, ça s’habite, ça se façonne, ça se patine.

N’est-ce pas encore trop tôt, alors, pour le juger ?

Certainement, il n’y a pas encore d’histoire ni de tradition. L’invention de la ville se fait sur 10, 15 ou même 50 ans. Il serait intéressant de lire les témoignages des premiers à investir de l’haussmannien, pour savoir comment cela s’est passé au début. Je suis curieux de voir comment Paris Rive-Gauche va évoluer. Mais regardez les grands ensembles, comme la cité des 4 000 à La Courneuve ou les Olympiades. On trouvait ça bien au départ, et puis on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas mettre trop de gens comme ça sur le même espace. Il est possible que le constat ne soit pas très bon ici non plus. Ici, on a travaillé le concept plutôt que la réalité humaine. Il y a un fossé entre les architectes, qui ont le pouvoir sur l’espace, et les habitants, à qui la conception de la ville est imposée. C’est un vrai problème anthropologique. Il y a des choses mal pensées pour les gens, mal conçues, et ça on le sait déjà.

[...] La suite de l'entretien dans le 13 du Mois #39