DOSSIER | Du 13e à Belleville, parole à la jeunesse de Chinatown | Dossier |
Entre traditions chinoises et culture française, les enfants issus de l’immigration asiatique se construisent une identité plurielle, pétrie de cette double culture. Français avant tout, ils se rêvent libérés des clichés qui pèsent sur leur communauté. On les appelle, avec bienveillance, les « enfants bananes ». « Jaunes dehors, blancs dedans », ces jeunes issus de l’immigration asiatique sont nés et ont grandi en France. L’expression dit avec humour tout le questionnement identitaire auquel ils font face. Sont-ils Français ou Asiatiques ? Les deux, bien sûr. « Je suis un Chinois né en France », tranche le timide Stéphane, 15 ans. Élève en classe de seconde au lycée Notre Dame de France, dans le 13e arrondissement, il rejoint tous les soirs le restaurant de ses parents, avenue de Choisy. Au-dessus du comptoir, la télé déverse les actualités en chinois, tandis qu’il engloutit son dîner. Ses parents, immigrés tous les deux, se sont rencontrés ici, à Paris, et ont ouvert leur affaire en 2004. Éric, est venu de Hong-Kong à la fin des années 1990. Son épouse, Ling, est originaire de la région de Wenzhou. À la maison, on parle cantonais et mandarin. Comme l’immense majorité d’enfants d’origine asiatique, Stéphane et sa petite sœur Mélina prennent des cours de chinois le dimanche. « Si tu es Chinois et que tu ne sais pas parler chinois, c’est la honte », résume le jeune lycéen. Si la famille de Stéphane fait partie de la deuxième vague d’immigration asiatique, le 13e est en réalité peuplé d’une majorité d’Indochinois. Des Cambodgiens, Vietnamiens ou Laotiens d’origine chinoise qui ont fui la guerre et le régime des Khmers rouges dans les années 1970. « C’est la communauté qui a été la mieux accueillie dans toute l’histoire de l’immigration en France, explique Richard Beraha, sociologue spécialiste des pays émergents et fin connaisseur de la communauté chinoise à Paris (1) Il y a eu un élan du cœur de la société française envers ces boat-people qu’on allait sauver du communisme. À tous, on a donné des visas, des logements… Et même un quartier, dans le 13e arrondissement. C’est ce qui explique la très bonne intégration de cette communauté. » Mauvaise presse dans les années 2000 À partir des années 1980, la France connaît une nouvelle vague d’immigration chinoise. En 1978, deux ans après la mort de Mao, Deng Xiaoping arrive à la tête du pays et mène d’importantes réformes économiques. Il développe une économie de marché, ouvre les frontières de la Chine et encourage ses citoyens à vendre sa production industrielle partout dans le monde. En trente ans, près de 300 000 Chinois originaires du district de Wenzhou, situé au sud de Shanghai, arrivent en France. La plupart retrouvent des cellules familiales installées à Paris depuis le début du 20e siècle et s’installent surtout dans le nord-est parisien – 11e, 19e et 20e arrondissements – et en Seine-Saint-Denis, notamment à Bobigny et Aubervilliers, où ils créent des centres de commerce. « Ces familles sont pratiquement toutes arrivées en France sans papiers et ont vécu dix ans dans la clandestinité, précise Richard Beraha. Elles n’ont pas du tout reçu le même accueil que les Indochinois dans les années 1970. » Cette récente vague d’immigration chinoise a suscité beaucoup de méfiance de la part de la société française. Dans les années 2000, alors que la Chine devient membre de l’Organisation mondiale du commerce, le géant asiatique a mauvaise presse en France. Les enfants d’immigrés, comme leurs parents, sont touchés par cette suspicion grandissante. On parle du « péril jaune », de « menace chinoise ». Les reportages dans les appartements raviolis succèdent aux enquêtes sur la mafia chinoise. Le Chinois est dépeint comme un être « fourbe » et « mystérieux ». « Ces articles nous ont fait beaucoup de mal, constate Rui Wang, 27 ans, volubile et coupe à la mode. On perdait nos clients, le chiffre d’affaires était en baisse. Des amis de mes parents ont même été agressés verbalement. Ce sont des événements traumatisants. » Pour le président de l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF), le paroxysme de cette tourmente médiatique correspond aux années 2007 à 2010. À l’époque, la Chine accueille les Jeux Olympiques et les médias se focalisent sur l’occupation du Tibet et la question des droits de l’homme. « J’ai été personnellement pris à parti, par mes propres amis, poursuit-il. J’ai ressenti un sentiment d’oppression, l’impression de devoir prendre parti. » Il conclut : « Il existe une forme de racisme envers les jeunes Chinois. Un racisme social, pas nécessairement virulent. Mais nous pouvons très facilement tenir le rôle de bouc émissaire. » L’AJCF naît en 2009 avec la volonté de « s’approprier la parole » pour changer le discours sur les Chinois et compte aujourd’hui quelque 500 membres. « Nous sommes des citoyens français, déclare fermement Rui Wang. Nous ne renierons jamais nos ancêtres et nos racines, mais nous sommes des citoyens français. » Voyage initiatique dans le pays d’origine Se sentir Français sans pour autant renoncer à la culture de ses parents : c’est tout l’enjeu d’intégration porté par la deuxième génération. Arrivé en France à l’âge de sept ans, en 1995, Rui Wang est né en Chine. En attendant de pouvoir rejoindre ses parents émigrés en Europe, il vit avec ses grands-parents. Aujourd’hui, quand il revient dans son village, pourtant sans charme particulier, il retrouve une partie de ses racines. « Je suis heureux quand je respire cet air pourri », dit-il. À Paris, la famille réunie ne roule pas sur l’or. Enfant, Rui aide souvent sa mère, qui travaille dans un atelier de confection. Son père est plongeur, en attendant d’avoir les moyens d’ouvrir son propre restaurant. En 1998, enfin, toute la famille est régularisée. Avec sa petite sœur, Rui grandit alors dans « le climat de l’école républicaine ». Il connaît l’incompréhension qui s’installe parfois entre les enfants français et leurs parents chinois. « Par exemple, dans la façon de parler avec les gens, détaille Rui. La communication asiatique est suggérée. En France, c’est plus direct. Mon père est parfois choqué par ma façon de refuser ou de demander. » Le jeune homme a finalement reçu deux éducations : celle de ses parents et celle de l’école française. « De façon inconsciente, j’adapte mon comportement, si je suis en famille ou ailleurs. » De la même manière, comme tout vrai bilingue, il évolue entre deux langues sans avoir à réfléchir. « Je change de logiciel sans réfléchir », résume-t-il dans un sourire. […] La suite du dossier est à retrouver dans le 13 du Mois #48 |
Publié par Anne Royer le 05 Février 2015 |