Le Stadium, quand ACDC et les Clash ont fait pogoter le quartier
C’est vieux comme les Olympiades et il y en a qui s’en souviennent quand même. En septembre 1976, alors que le chantier est presque terminé [la dernière tour sera érigée en 1977, ndlr], l’inauguration du Stadium, à l’emplacement exact de l’actuel gymnase, accessible par le 66, avenue d’Ivry, fait sensation. Claude Nougaro chante pour l’événement. Ce complexe omnisport avec piscine, patinoire, bowling, salles de sport, est aussi un lieu culturel. « C’était original comme conception. La piste de la patinoire était en synthétique, du Makrolon, ce qui facilitait le changement d’usage, c’était très moderne », raconte Françoise Moiroux, journaliste spécialisée en architecture et ancienne commissaire d’une exposition sur les Olympiades à l’Arsenal. En clair, à l’occasion, la patinoire se transformait en salle de concerts. Et pas des moindres : le 16 octobre 1978 : The Clash ; le 24 octobre 1978 : ACDC. Les 2 500 m2, avec cette patinoire au niveau -1 et les gradins à celui de la dalle, pouvaient se le permettre. Le Stadium a également accueilli Eddy Mitchell, Hubert Pagani, Anne Sylvestre, Serge Reggiani, Malicorne, Alan Stivell...
Tai-Luc, chanteur de La Souris Déglinguée et ... du 13e, n’y est allé qu’une fois, le 9 mai 1979, pour voir le bluesman Paul Lee Hoocker. Ça lui avait coûté 35 francs. « Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi cette salle ne m’a pas marquée. On ne faisait pas trop la fête dans le coin, à l’époque. On partait plutôt aux Abattoirs porte de Pantin. » Au bout de cinq ans, en 1981, un incendie détruit une partie des installations. C’en est terminé pour le Stadium, salle de concerts éphémère.
L’anecdote de Bernie Bonvoisin sur le concert d’ACDC
Mais cette poignée de concerts mythiques valent une éternité. Nous n’avons pas trouvé de spectateurs pour nous les raconter. Le mieux placé pour en parler, finalement, est Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust : il était sur scène le soir d’ACDC, pour leur première partie. Extrait d’une anecdote racontée à Energy Paris en novembre 1982 (1) : « On me présente à Bon Scott [le chanteur d’ACDC, ndlr]. Bon, à l’époque, ACDC n’est pas très connu. [...] Je le prends, je l’emmène dans le studio [Pathé, ndlr] et je lui dis “Voilà, on est un groupe français, on s’appelle Trust, on vient de faire un 45 tours avec une reprise d’un morceau à vous, Love At First Feel, ça s’appelle Paris By Night”. On lui fait écouter, ça le fait sourire, et comme c’est quelqu’un d’assez ouvert et de très gentil, on a pu continuer à se voir pendant deux, trois jours. On a fait du shopping sur les Champs-Élysées, tous les plans plus ou moins touristes. On s’est quitté en se laissant nos adresses mais bon j’y croyais pas trop parce que leur vie, c’était dix mois de tournée, un mois de repos et un mois pour faire l’album. En octobre 1978, Bon Scott m’appelle en me disant “Voilà, on est en tournée en ce moment en Allemagne, ça marche vraiment fort pour nous. On doit jouer à Paris dans une salle qui s’appelle le Stadium et on a personne pour ouvrir.” [...] Bon on arrive au Stadium ! Stadium, matos d’enfer et tout ! On se dit “merde” ! On n’avait jamais joué dans une salle comme ça, devant un groupe comme ça. Nos idoles. Et je me souviens, durant tout le concert, Angus est resté sur scène de façon à ce que l’on ait des retours potables, de bons éclairages etc. Et Bon Scott faisait l’aller-retour entre la scène et la console pour que l’on ait un son propre. Ce concert s’est super bien passé ! »
Un centre fitness entre deux périodes de déshérence
Pour Françoise Moiroux, outre ces épisodes remarquables, le Stadium est bel et bien un lieu qui a marqué les Olympiades : « Les habitants en conservent un souvenir très vif. C’était un lieu de sociabilité. Il y avait notamment le fameux bar Totem, QG de tous les jeunes, et une pizzeria. Ce Stadium avait servi d’argument marketing pour vendre les appartements de l’époque, même si les plaquettes étaient plus alléchantes que la réalité. » Après le rachat par un investisseur privé, mais surtout l’incendie, le lieu a alterné périodes de déshérence, réhabilitations, exploitations en centre de fitness ou bowling et de nombreux incidents (dont un autre incendie en 2001). Depuis 1994, le Stadium est la propriété de la Ville de Paris, mais n’est le gymnase qu’il est aujourd’hui que depuis mars 2010. En octobre 2001, un rapport de l’Atelier parisien d’urbanisme nommé « Olympiades, quelles perspectives ? », pointait particulièrement le Stadium comme un « lieu fermé et désolant. Son réaménagement lui permettra sans doute de devenir le lieu de relation et d’échange avec le quartier espéré initialement, rôle qu’il n’a malheureusement jamais joué. » Il n’a en tout cas plus jamais été question de musique dans ces murs.
(1) Highwaytoacdc.com
L’Arapaho : le rock en fusion dans les années 90 (1 page)
L’histoire n’aura duré que quelques années. Cinq ? Six ? « Euh oui, à peu près. » Alain Picon, le régisseur de l’époque, ne sait pas trop. « Je peux te dire ce qu’on a bu et ce qu’on a fumé, mais le temps que ça a duré... » On imagine l’ambiance, l’époque rock des années 90, dans cette salle de 300 places du sous-sol du centre commercial Galaxie (ex-Italie 2), enfumée et enfiévrée. Tous les soirs, des groupes un peu, beaucoup ou pas du tout connus se produisaient là. Entre 1993 et 1997 (quatre ans en réalité), l’Arapaho en aura vu passer, des genres : rock indé, rockabilly, garage, punk, funk, reggae... C’était tournant, parfois un peu extrême : « Des mecs tout en noir avec un décor paramilitaire, ça nous faisait pas peur », dit Alain Picon. Quand on lui demande ce qui l’a le plus marqué, il lance sans trop réfléchir Fishbone, Motorhead, Greenday, les Foo Fighters ou Kepone, qui est arrivé avec son matos cinq minutes avant de commencer à jouer et qui a « retourné l’établissement ». « La plupart des groupes français sont passés par là » ; Alain Picon cite les Wampas et La Souris Déglinguée. Les Breeders aussi [groupe de l’ex-chanteuse des Pixies, Kim Deal, ndlr] l’ont marqué, parce qu’ « ils jouaient habituellement au Zénith ».
C’est que l’Arapaho avait l’avantage d’être une salle confidentielle à l’acoustique digne d’un Bataclan, d’une Élysée-Montmartre. Que des grands s’y soient produits, c’est un classique du genre, selon l’ancien régisseur : « On a bien vu les Stones à l’Olympia. » Équipement au top et proximité avec le public ont séduit, tout comme ce qu’on pouvait trouver dans la loge, vin français en tête. « On faisait attention à ce que les gens boivent », poursuit Alain. Ça faisait partie de la fête, et la fête du concert. Aujourd’hui en tournée avec les Wampas, il décrit cette époque « où les gens étaient moins pros. L’alcool et les stupéfiants circulaient. Les musiciens avaient des aventures d’un soir, il n’y avait pas de reconnaissance de paternité à l’époque. Maintenant, les groupes sont plus distants, super encadrés à cause du marché, et si tu veux durer, il faut que tu tiennes la route, que tu sois bon tous les soirs. »
Asia Folie’s, une folie
Tai Luc, chanteur de La Souris Déglinguée (LSD) se souvient surtout des « fameux piliers » qui soutenaient le plafond. Larges et idéalement situés devant la scène. « Une galère pour pas mal de monde », plaisante-t-il. Il se demande si ce type de salle passerait aujourd’hui, avec toutes les règles sur l’insonorisation, si le lieu aurait pu se mettre aux normes. De toute façon, l’Arapaho a fermé, en 1997, à la suite d’une décision de la préfecture. Il y a eu des trop-pleins. Une soirée asiatique, Asia Folie’s, qui a dégénéré, par exemple : « On faisait de la location de salle à des associations pour des raisons économiques, on était obligés pour nourrir l’activité de concerts », explique Alain. L’arrêté préfectoral, cité par Libération de l’époque, stipule : « Depuis le début de l’année 1997, plusieurs affaires de violences volontaires ont opposé le personnel de sécurité de la discothèque et une bande organisée. » De Laotiens selon la police du 13e arrondissement. Agressions, vendettas, coups de feu, bousculades... Dans son livre-hommage à Graham Parker, Éric Naulleau parle d’ « une salle de funeste mémoire ». Pas pour Alain Picon, qui évoque surtout « la lassitude générale », « un rythme effréné », « la pression financière à cause des charges ». L’Arapaho ne s’est pas réincarnée dans une autre salle du 13e ; elle l’a laissé sans repaire rock n’roll.
La suite de cet article est à retrouver dans le 13 du Mois N°53
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