La salle Colonne ne s’est pas toujours appelée ainsi : « salle Blanqui » quand elle n’accueillait que des assemblées générales du syndicat du livre, « studio Blanqui » quand Philips y faisait enregistrer Brel, Brassens, Gainsbourg et Hallyday, puis « studio Akustica » avec une tendance classique plus affirmée. Aujourd’hui, la salle Colonne, où réside l’orchestre du même nom, est l’une des salles parisiennes les plus recherchées pour la musique de chambre. Et des plus habitées.
Le balcon est gris-poussière, avec des sièges disloqués ou tremblants. « Personne n’y met les pieds, ce n’est pas pour le public », souffle Mathieu Rolland, l’administrateur de la salle Colonne. Ce n’est pas qu’une question d’entretien : les normes de sécurité n’y sont pas. Pour y accéder, il faut longer des dizaines de boîtes en carton d’archives qu’aucun personnel n’a eu ni le temps ni le courage de dépiauter. Si l’on triait tout ce que cette salle renferme depuis 1937, date de son inauguration, on en trouverait de belles.
La salle Colonne, qui sert aujourd’hui de lieu de répétition et d’enregistrement, notamment aux Chœurs de Radio France (travaux à la Maison de la Radio obligent) et à Nathalie Dessay, qui y enregistrera un album en novembre prochain, ne s’est pas toujours appelée ainsi. C’est le rachat par l’orchestre Colonne, en 2010, qui lui donne ce nom. La formation symphonique, créée en 1873 par Édouard Colonne et historiquement basée au théâtre du Châtelet, y trouve alors résidence. « C’est drôle car c’est l’orchestre Colonne qui a inauguré cette salle en 37 », raconte Mathieu Rolland, lui-même altiste de l’ensemble symphonique.
Johnny y est entré avec sa Harley et a déglingué le parquet
Construite par la chambre syndicale typographique parisienne pour héberger le syndicat du livre, la discrète « salle Blanqui », au 94 du boulevard du même nom, accueille d’abord assemblées générales et congrès fondateurs. Pour des raisons financières, elle cède en 2010 à l’Association artistique des concerts Colonne la majorité de ses locaux, qui renferment un patrimoine musical impressionnant. C’est que les syndicalistes de la chambre typographique ont exploité ce lieu à l’acoustique idéale pour en faire des studios d’enregistrement. Philips, la pas-des-moindres maison de disques, passe par là, et en fait son studio pendant au moins 30 ans ! « Entre 1950 à 1980, on voit passer à “Blanqui” les grands noms de la chanson française », dit Mathieu Rolland. En vrac : Gainsbourg (les titres Le poinçonneur des Lilas, Ronsard 58, La recette de l’amour fou, Douze belles dans la peau ; les albums New York USA ou N°4), Brassens (Les Trompettes de la renommée), Barbara (les titres La dame brune, Parce que (je t’aime), Si la photo est bonne, Le soleil noir, Pierre ; l’album Göttingen), Jean Ferrat, Bobby Lapointe, Nana Mouskouri, Johnny Hallyday (l’album Jeune homme en 1968 ; la chanson Cheveux longs et idées courtes en 1966). Jacques Brel y a enregistré Quand on n’a que l’amour en 1956, une version de Ne me quitte pas en 1963 ainsi que le 33 tours Marieke la même année.
« Ceux qui ont connu cette époque sont depuis longtemps à la retraite », lance Sandrine, une employée du syndicat du livre, qui tient toujours permanence dans un petit local du 94, boulevard Blanqui. Pourtant, elle a entendu quelques anecdotes. « Il paraît que Johnny est entré avec sa Harley et a déglingué le parquet de la salle », rapporte-t-elle. Muriel Gane, 58 ans, qui travaille depuis toujours à la chambre typographique (actuellement située rue Bobillot), se faisait raconter régulièrement « l’ambiance yéyé de l’époque ». « L’acoustique avait été faite par Philips, c’était du dernier cri », dit-elle. Au départ de la maison de disques, dans les années 80, celui qui était devenu le « studio Blanqui » n’a pas perdu sa vocation musicale : le syndicat louait encore, sous le nom de « studio Akustica », à des formations musicales, notamment, déjà, à l’orchestre Colonne. L’orientation classique devenait de plus en plus nette.
La suite de cet article est à retrouver dans le 13 du mois N°53
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