13e œil | Le poisson tropical voit rouge | 13e oeil |
Les dernières boutiques spécialisées dans la vente de poissons tropicaux ont la tête sous l’eau. On n’en compte plus que deux dans le 13e arrondissement, toutes « asiatiques », qui survivent grâce à la fidélité de quelques aquariophiles, prêts à dépenser des sommes astronomiques pour leur passion.
M. Lin arrive à 10h30 pour ouvrir les portes de son magasin du boulevard Vincent-Auriol, spécialisé dans la vente de poissons tropicaux d’eau douce. Il allume la lumière du plafond qui vient adoucir celle des leds éclairant jour et nuit les aquariums superposés dans sa boutique. Dans chacun d’eux s’agitent des poissons de couleur et de taille diverses, qui cohabitent non en fonction de leur provenance, mais de leur capacité à vivre ensemble. Comprendre, de leur aptitude à ne pas se dévorer les uns les autres. Il vérifie la propreté de l’eau, surveille l’état de santé des bêtes, les nourrit, repêche les morts : « C’est comme ça que la journée commence quand on fait du commerce de vivant. » Avant d’ajouter, avec ironie : « J’aurais dû vendre des Mercedes, j’aurais eu moins de contraintes et plus d’argent. »
Rapidement, un premier client entre. Il salue M. Lin, qui lui répond chaleureusement en chinois, puis entame ses flâneries. Un second, chinois lui aussi, se joint bientôt à lui. « Sans doute des retraités asiatiques, qui n’ont pas assez d’argent pour acheter, mais qui aiment regarder », nous glisse-t-on. Tandis qu’ils fixent successivement les deux allées d’aquariums et posent quelques questions sur telle ou telle espèce, un troisième habitué fait son entrée dans la boutique. Le marchand de poisson anticipe : « Vos elodea densa [plantes vertes, ndlr] arrivent mercredi », avant de prendre des nouvelles de la famille. Et c’est comme ça toute la matinée. M. Lin, qui n’hésite jamais à offrir quelque chose à boire, connaît tout le monde. Sa sympathie et son sens de l’humour font sourire ses clients. Mais il ne cache pas sa fatigue de travailler dans un secteur d’activité de plus en plus difficile. Ce sont ces habitués qui continuent de lui permettre, à sa femme et à lui, de se dégager des salaires. Les échanges avec eux aussi, sans doute, rendent son travail encore supportable.
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Publié par Rébecca Khananié le 03 Septembre 2015 |