Portrait de Sabine Landré | Portrait |
La Libraire libéréeSabine Landré est la fondatrice de l'emblématique librairie Jonas, plastiquée à trois reprises au début des années 80. Restée longtemps dans l'ombre d'une société dominée par les hommes, elle a fait du 13e le théâtre de son émancipation. Féministe engagée, cette introvertie est devenue, sur le tard, une vraie figure locale. Elle publie en 2011 Elia Perroy, Une femme dans son siècle. Que peut-elle encore rapporter de Cuba, la destination vers laquelle elle s’apprête à s’envoler ? L'appartement bourgeois de l'avenue des Gobelins a déjà des airs de musée du quai Branly. Si selon elle « tous ces objets témoignent de cultures et de vies », Sabine Landré, 84 ans, n’est pas en reste. Voyages, fêtes, activités littéraires, journalistiques et militantes, celle qui est d'abord connue comme propriétaire et fondatrice de la librairie Jonas est en perpétuel mouvement. D'ailleurs, chez elle, il n’y a que peu de cloisons, seulement des portes ouvertes. Sabine Landré aime parler d'elle. Rédactrice en chef de « sa » Gazette, figure historique de « sa » librairie - par ailleurs sujet de son premier essai, L'année des cocktails -, elle s'est imposée au-dessus de la mêlée. Autoritaire ? Narcissique ? Ou meneuse malgré elle ? Autour de ce personnage les langues peinent à se délier. Premier contact, premier coup de griffe : Le 13 du Mois est « trop lisse ». Mais, bonne joueuse, elle est partante pour un portrait. Catholique, progressiste, féministe : le drôle de chemin d'une introvertieAssise dans son fauteuil, Sabine Landré n'a pourtant rien d'un personnage sulfureux, ni d'une vieille dame dépassée. Disons qu'elle affiche la modestie de son âge. Parler d'elle, c'est parler du 13e, le « cœur de [sa] vie », sans trop en dire sur sa personne. C'est ici que tout a commencé pour elle, que tout s'est construit, transformé, pour finalement aboutir. L'un de ses fidèles, José Mangani, dit qu'elle y a « imprimé son esprit, petit à petit ». Et pour cause : entre l'arrivée de Sabine Landré dans le 13e en 1948, avec mari et enfant, et la reconnaissance de ses pairs, il aura fallu quelque trente à quarante années. Avec comme point de départ l'adhésion à un mouvement catholique avant-gardiste, Vie nouvelle : « On s'est mis à vivre en communauté, à tout partager, y compris les salaires. J'ai découvert une foi qui me poussait vers le changement de société et l'implication dans le local. » C'est dans cet esprit que naît la librairie Jonas, qui aurait pu être « un bistrot », tant l'idée était de « créer un lieu ouvert aux gens d'un quartier à l'époque très pauvre culturellement ». Sabine Landré confie avoir été « d'une timidité maladive jusqu'à quasiment 50 ans ». Si elle se dit aujourd'hui guérie, on décèle encore quelques traces : les bras sont croisés sur son ventre comme si elle en souffrait, le regard baissé sur le tapis, jamais confrontant, ainsi que l’on aurait pu se le figurer au vu des premiers échanges. La voix est basse et posée : « Quand j'allais aux réunions du PSU [Parti socialiste unifié, ndlr] dans les années 60, j'admirais les femmes qui prenaient la parole. Moi je ne m'exprimais jamais en public. » L'engagement politique prend alors un tour féministe, au moment où les revendications des femmes se font plus audibles : contraception, avortement, hausse des salaires. « Nos réunions de femmes de quartier étaient un espace de réflexion et de solidarité. On se donnait du courage les unes aux autres. »
|
Publié par Virginie Tauzin le 24 Avril 2012 |