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Portrait de Mustapha Boutadjine

 

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Le serial colleur

À travers ses collages, Mustapha Boutadjine distille un art engagé. L'artiste détourne des publicités pour dresser le portrait de personnages en lutte.

À l'entrée de l'atelier-galerie de Mustapha Boutadjine trône un champignon atomique reconstitué avec des canettes. L'exposition sur Hiroshima annonce la couleur politique. « C'est Emiko, une artiste japonaise qui l'a réalisé avec des canettes de bières américaines », précise malicieusement l’artiste.

Dans son antre de la rue Brillat-Savarin, Mustapha compose ses portraits : un savant collage de publicités déchirées dans les magazines. Ses sources d’inspiration sont toujours des rebelles ou des populations stigmatisées comme les Gitans ou les Noirs : « Je veux montrer des gens dont on ne parle jamais, faire un travail sur la mémoire et démocratiser les archives », explique-t-il, la mine sérieuse. Au mur, un énorme portrait d'Émiliano Zapata, héros de la révolution mexicaine. Une œuvre qui lui a donné du fil à retordre. Juste en dessous, la chanteuse capverdienne, Césaria Évora. En évoquant ses icônes, l'artiste d'origine algérienne a l'œil qui brille et la moustache qui frise.

Avec sa gouaille et son foulard bleu marine à pois blancs, Mustapha Boutadjine, 58 ans, est un personnage baroque. Un artiste repéré dès l'école primaire : «  Mes instituteurs me disaient que je dessinais bien les fruits, que je devais faire les Beaux-Arts. Mais je ne savais même pas ce que c'était ! », s’exclame Mustapha en faisant de grands gestes. Dans sa famille, il est le premier à embrasser une carrière artistique.

Des Black Panthers aux Gitans

En 1974, il sort diplômé des Beaux-Arts d'Alger en architecture d'intérieur. En 1978, il fait un saut aux Arts décoratifs à Paris. Mais, dans les années 70, c'est à Alger, sa ville d'origine, que tout se passe. La cité post-coloniale bouillonne. « Les mouvements de révolution du monde entier avaient pignon sur rue. Les Black Panthers (1) venaient nous demander des affiches aux Beaux-Arts ! », raconte Mustapha.

Stimulé par cette atmosphère, il découvre les livres de Frantz Fanon. Ce psychiatre antillais avait dénoncé les ravages de la colonisation : « Petit, j'ai vécu cette période d'occupation. Frantz Fanon m'a directement inspiré pour la série de collages sur les Blacks ». En 1998, les souvenirs s'assemblent comme un puzzle. Il entame sa galerie de portraits « Black is toujours beautiful ». En bonne place, son idole, Frantz Fanon et les Black Panthers, évidemment. Mais aussi le révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture en passant par le musicien Miles Davis. Auparavant, Mustapha avait exploré la face cachée des États-Unis, en dénonçant ses dérives, dans la série « America Basta ».

Pour son exposition « Sous les pavés, le Gitan », présentée en novembre dernier, l'artiste a eu le déclic en rencontrant Émilien Bouglione. L'héritier du cirque éponyme était venu le féliciter pour un de ses tableaux : « Il m'a demandé de faire le portrait de son père mais je ne travaille pas sur commande ! Comme je m'intéresse aux gens rejetés, aux minorités, je me suis décidé à travailler sur les Gitans. »

Précis comme un horloger

Si le choix de ses modèles est militant, sa technique de collage est une autre forme d'engagement. Ainsi, en « détourn[ant] des publicités de luxe pour représenter des personnages rebelles, [il] dénonce la société de consommation ». Ce ʺserial colleurʺ choisit sa matière première dans des publications de papier glacé : Elle, Madame Figaro, Closer... Son premier critère est la couleur. « Par exemple pour faire la peau du front, je sélectionne des photos de bouts de ventre dans les magazines », s'amuse-t-il. Muni d'un ou deux clichés de son modèle, il commence par l'esquisser au crayon. Il déchire les publicités de luxe en petits morceaux, puis, avec une précision d'horloger, les colle un à un. L'opération n��cessite un solvant spécial acheté en Suisse. Il précise : « Pour faire un tableau, j'ai besoin d'un mois à raison de six à huit heures de travail par jour. »

Dans chacune de ses œuvres, Mustapha glisse une photographie de lui : sa signature. Un cadre orné apporte la touche finale à sa mosaïque de papiers : « Je fais tout pour valoriser mes modèles. Ça fait musée, c'est un peu mon panthéon ! »

Inventeur de ce procédé, l’artiste réfute toute influence directe. En revanche, il reconnaît apprécier Grapus, un collectif de graphistes engagés formé dans les années 70. Tout comme il admire George Grosz, un peintre allemand dadaïste - et communiste - des années 20. Pour chaque série de collage, Mustapha se plonge dans l'histoire. Les étagères de sa bibliothèque débordent de références. Pour les Gitans, il a été particulièrement touché par le livre  Samudaripen (2) qui revient sur le génocide des Tziganes et a écouté en boucle Taraf de Haïdouks, musicien de jazz manouche roumain.

 

À Paris, entre son atelier et L'Huma

Comme ses modèles, Mustapha a été bousculé par l'histoire. Menacé par les islamistes, il a dû quitter l'Algérie en 1988. Un sujet sur lequel il ne s’étendra pas lors de notre entrevue. Hésitant entre le Canada et la France, il finit par suivre le conseil d’un de ses anciens professeurs et s’installe à Paris.

L'artiste partage dès lors son temps entre son travail de maquettiste au journal communiste L'Humanité et son atelier : « Je suis ici de 8 heures à 13 heures et ensuite après 20 heures. » Infatigable, il a inauguré en janvier une exposition aux Lilas, dans laquelle ont cohabité les Black et les Gitans.

Sorti de sa bulle créative, l'artiste consacre son temps libre à sa famille. Sa Femme, Orkia, est designer textile. Sa fille, Nassima, 31 ans, fait du graphisme et de la photographie. Son fils, Elyès, 26 ans est aussi graphiste et joue du jazz manouche. Yanis, le petit dernier est encore au lycée.

L'art coule dans les veines de la famille Boutadjine. Mustapha, toujours une nouvelle idée en tête, songe déjà à son nouvel opus : « Quand tu vis dans une approche sociale et politique de ta pratique, tu ne peux pas bifurquer. Toujours engagé, jamais désengagé. »

 

Mustapha Boutadjine, atelier-galerie Artbribus, 68 rue Brillat-Savarin.

 

(1) Mouvement révolutionnaire afro-américain dans les années 60.

(2) Claire Auzias, Samudaripen, L’Esprit Frappeur, 2000

Publié par Cécile Rousseau
 

Commentaires  

 
0 #1 Le13duMois 29-03-2013 10:23
Dans le cadre de la journée de la Méditerranée le "serial colleur" Mustapha Boutadjine expose ses belles et rebelles d'Alger à la mairie du 13ème arrondissement le 30 mars 2013. Occasion de découvrir ou redécouvrir cet artiste du 13e ! :-)
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