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13e OEIL | Slimane, l’épicier du coin

 

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Leurs échoppes sont ouvertes tard le soir, le plus souvent en continu. Les épiciers indépendants dépannent d’une plaquette de beurre ou ravitaillent les fêtards en boissons. Figures de quartiers, ils participent à créer du lien social mais subissent de plus en plus la concurrence de la grande distribution et des franchisés plus modestes. En plein cœur du quartier Croulebarbe, Slimane résiste, peut-être plus pour très longtemps.

 

Slimane arrive d’un pas alerte, Le Parisien sous le bras. Il écarte les rideaux bleus, tire le pare-soleil et allume le néon de son petit magasin situé rue du Champ-de-l’Alouette. C’est le même rituel chaque matin. Sauf que, depuis quinze jours, des travaux de voierie lui gâchent la vie. Un tractopelle masque la devanture de son commerce. Impossible d’installer ses étals de fruits et légumes. « Mes kiwis et mes avocats restent stockés à l’intérieur. Je n’arrive plus à les écouler. Ils finissent par se gâter. Ce sont pourtant eux que je vends le plus d’habitude… Sans compter que certains clients pensent que je suis fermé ! », peste l’épicier, qui salue les ouvriers et tente d’en savoir davantage sur l’avancée du chantier. L’échange est cordial. « Ils font ce qu’ils peuvent », souffle Slimane, avant d’aller chercher un café à la boulangerie voisine et de prendre place derrière sa caisse enregistreuse. À 8h30, la rue est déjà très animée. Le café-restaurant d’en face, Le Monaco, est ouvert. Les parents cavalent pour emmener leurs enfants à l’école ; d’autres prennent le temps de papoter une fois les petits déposés tandis que déboulent les premiers clients.

« Nous ne sommes pas des voleurs ! »

Sacs à dos, baskets dernier cri, coupes de cheveux étudiées, les élèves du lycée Rodin ont leurs habitudes. « Bonjour Slimane ! », s’exclament les plus polis en entrant dans la boutique dont la pénombre contraste avec la lumière extérieure. Après avoir posé quelques pièces sur le comptoir, filles et garçons se ruent vers les bonbons puis filent en cours. Les canettes de soda, vendues environ 1,30 €, partent elles aussi comme des petits pains. « Il paraît que je suis le moins cher du quartier », explique le commerçant, qui semble anticiper les questions sur les tarifs pratiqués. Car chez lui, comme dans toutes les petites épiceries, les denrées sont pour la majorité plus coûteuses que dans les supermarchés. « Les gens ont raison de dire que nos prix sont élevés… De là à nous traiter de voleurs, c’est injuste ! Le problème vient des centrales d’achat où nous devons nous approvisionner. Nous payons certains produits plus cher que les prix affichés dans les grandes surfaces. C’est aberrant », s’insurge Slimane qui, comme ses pairs, doit bien ajouter une marge pour gagner sa vie. Factures à l’appui, il pointe le coca-cola à 1,39 € hors taxe et le kilo de tomates qu’il achète 1,99 € et revend 2,50 €. « Je n’abuse pas ! », conclut-il. Deuxième coup de gueule après celui contre le manque à gagner occasionné par les travaux. Le quinquagénaire s’interrompt. Une fillette est sur le pas de la porte.

Poli pour éviter les embrouilles

L’enfant se dirige vers les bocaux de friandises. « Et les mots magiques ? », lui demande Slimane, l’air sérieux. « Bonjour, merci… », bredouille la fillette en tendant sa pièce. « Ah, les gamins de nos jours! », s’agace le marchand, avant de se raviser : « Il ne faut quand même pas généraliser. Certains sont sympas et bien élevés. Ceux-là, je les aime bien. » Arrive ensuite une vieille dame qui peine à marcher. Slimane l’aide à entrer et lui sert son paquet de biscuits sablés. Une jeune femme aux cheveux ébouriffés achète du beurre pour ses gaufres du petit déjeuner. Quelques minutes de répit et un garçon d’une vingtaine d’années, coiffure gominée, sacoche en bandoulière, fait son entrée. « T’as de la vodka ? ». Slimane lui montre le rayon. « C’est cher Paris », lance le client.

- « Vous venez d’où ? »

- « Essonne. »

Fin de l’échange. « Ces gars-là, qui roulent des mécaniques et vous tutoient, je les repère tout de suite, c’est le genre à créer des embrouilles mais je reste toujours poli. »

Il est 11 heures. Revoilà les lycéens qui arrivent en grappes. Slimane interpelle l’un d’eux. La veille, l’adolescent de 16 ans s’est retrouvé plaqué au sol par deux policiers sous ses yeux. Choqué par la scène, l’épicier lui demande si tout va bien. Le garçon porte une légère marque sur le visage. D’un ton posé, il explique ne pas avoir compris ce qui lui était arrivé. Tout serait parti d’une histoire de crachat par terre. Le jeune homme semble apprécier l’attention que lui porte le commerçant.

Un épicier en costume

Une fois les élèves repartis, le calme envahit la boutique. Slimane repère ce qui manque sur ses rayons, file du côté de la réserve et ravitaille l’étagère de biscuits, dévalisée par les ados. Lorsque l’ennui le guette,  Slimane ne compte ni sur la radio ni sur la télévision. Il préfère feuilleter les pages du Parisien, du Monde ou de L’Équipe ou allumer son ordinateur pour prendre des nouvelles de la Tunisie, le pays qu’il a quitté il y a plus de quarante ans pour venir s’installer à Paris. « Pas pour devenir épicier, précise-t-il, l’œil malicieux. J’ai travaillé comme responsable de la logistique dans un journal et puis j’ai arrêté après une dépression. Comme je ne peux pas rester longtemps sans rien faire, je me suis lancé dans le commerce. J’ai ouvert une première épicerie, déjà dans le 13e, avant de déménager ici. » Ses parents avaient beau tenir un magasin d’alimentation à Tunis, Slimane confie qu’il ne connaissait pas grand-chose à cet univers : « Au début, les clients s’étonnaient de me voir habillé avec un costume et de mon Alfa noire garée devant la boutique… Heureusement, j’ai rencontré des gens formidables qui m’ont fait connaître les vins, par exemple. » Aujourd’hui, Slimane ne porte plus de costume. Avec le temps et l’expérience, il a appris à reconnaître si un client est sincère lorsqu’il demande s’il peut payer plus tard : « Je me suis parfois fait rouler mais ça se sent tout de suite quand une personne est dans le besoin. Dans ce cas-là, il m’arrive même de donner un petit quelque chose. En revanche, il y a une règle d’or : ne jamais faire crédit pour de l’alcool… C’est perdu à tous les coups ! »

[...] La suite de ce reportage est à retrouver dans Le 13 du Mois #51

 

Publié par Laurence Gonthier  le 06 Mai 2015
 

Commentaires  

 
0 #1 http://healthraport. 19-08-2015 01:33
Je suis tombé ici par hasard. Je ne fus pas déçu.
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