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DOSSIER | Les trésors d'architectures du 13e

 

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« Il y a dans le 13e la présence massive d’architectes très connus »

Gilles-Antoine Langlois, historien et urbaniste, enseigne dans les écoles d’architecture de Versailles et de Bordeaux. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’architecture du 13e (1), dont il retrace pour nous les particularités.

Le 13 du Mois : Ce qui frappe, dans le 13e, c’est cette diversité architecturale. Quel tableau en dressez-vous, avec vos yeux de spécialiste doublé d’ancien habitant de l’arrondissement ?

L’architecture du 13e est particulière car elle s’étale sur 500 ans. Les bâtiments les plus anciens datent de l’Ancien Régime, comme l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière ou la Manufacture des Gobelins. On peut même voir rue des Gobelins, aux numéros 17 et 19, deux maisons parmi les 5 ou 10 plus anciennes de Paris, datant de fin 15e-début 16e siècle. On retrouve même un mélange d’époques sur de mêmes sites, avec des architectes contemporains de renom qui investissent des lieux du patrimoine : Jean-Michel Wilmotte qui construit un nouveau bâtiment dans la Salpêtrière ou encore Rudy Ricciotti qui transforme les Grands Moulins en bibliothèque universitaire.

C’est donc très divers dans la chronologie, mais aussi dans la typologie, avec des immeubles d’habitation de toutes sortes construits à différentes époques et pour différentes raisons. J’ajouterais un petit élément en plus : la hauteur de ces réalisations architecturales, qui va du souterrain, avec près de 10 km de carrières, aux plus hautes tours, au nombre d’une cinquantaine et édifiées dans les années 60 et 70.

L’évolution architecturale du 13e est intimement liée à celle des populations qui l’ont habité...

Oui, car si l’on s’en tient à parler du 13e depuis le 19e siècle, l’arrondissement est à ce moment-là le plus pauvre de Paris mais aussi le plus industriel. Il nécessite de la main d’œuvre. Se développe alors un habitat assez médiocre et modeste destiné à loger les ouvriers de Panhard, des sucreries Say ou encore des Grands Moulins. Après la guerre de 14-18, un autre type d’habitations se met en place, pas spécifiquement lié au 13e mais qui y trouve toute sa place : les immeubles en briques rouges, sur les Maréchaux. On décide de détruire les fortifications et de construire sur cet emplacement. Il y eut une grande bagarre : que va-t-on construire ? Finalement, le choix s’est porté sur de l’HBM, habitat à bon marché, sur un budget public. La spécificité de ces immeubles : leur style est dicté par des matériaux commodes et peu coûteux, comme le ciment et la brique, pour y loger des familles avec plusieurs enfants... On remarque que du côté de la Brillat-Savarin, cité construite à la même époque, il y a tout de même un souci d’esthétique, avec ces effets de carrelage, ces arches aux derniers étages... Sans doute cette architecture visait-elle des gens un peu plus aisés.

Ensuite, il y eut, bien sûr, dans les années 60 et 70, ces grandes opérations urbaines de construction de tours, comme Italie 13 ou les Olympiades. Un environnement dallé et bétonné qui, bien qu’assez mal vu, a su trouver son public : des cadres et les nouveaux arrivants asiatiques.

 

Qu’en est-il des petites maisons individuelles éparpillées dans l’arrondissement ?

Les plus connues sont celles que l’on trouve dans le quartier Maison-Blanche. Contrairement à ce que beaucoup pensent, elles n’ont pas été conçues pour les ouvriers, mais pour les veuves des cheminots morts pendant la Première Guerre mondiale. Se trouve, place Hénocque, la mutuelle des cheminots, dont le président d’honneur fut à sa création Victor Hugo. Ils ont donc l’idée de construire à cet endroit, là où la Bièvre a été recouverte en 1912. En revanche, le terrain est trop instable pour y édifier de hauts immeubles. Ce sera donc des petites maisons étroites et collées les unes aux autres. Toutes ces maisons individuelles, ainsi que les autres de l’arrondissement, restent des habitations modestes jusque dans les années 1980-1990. Mais pour moi, le gros basculement a eu lieu il y a 10 ans : tout comme la Butte-aux-Cailles, elles sont devenues prisées voire luxueuses. L’arrondissement a changé et là où c’est le plus flagrant, c’est au bas de la rue de Tolbiac, avec l’opération d’aménagement Paris Rive Gauche, la BNF, Météor [la ligne 14, ndlr] et des immeubles modernes.

Effectivement, Paris Rive Gauche impose un nouveau style, par ailleurs assez critiqué pour ne pas s’insérer dans le paysage de l’arrondissement, pourtant déjà très hétérogène. Certains dénoncent par exemple un concours d’architecture permanent...

Je ne suis pas d’accord avec cette critique. Le 13e est en effet déjà très hétérogène et Paris Rive Gauche un quartier sur lequel il n’y avait rien, donc c’est tout à fait normal que des architectes se soient sentis libres de faire du moderne. C’est, pour les grandes signatures comme Nouvel, Portzamparc, Ricciotti, Paul Andreu et bien d’autres, l’opportunité de réaliser des choses très remarquées et novatrices. L’architecture, c’est une aventure. On ne vit plus comme en 1910 ou en 1950. Avec le développement de l’économie d’énergie, de l’architecture verte, des nouveaux matériaux, qui changent complètement notre façon d’équiper et d’habiter un quartier, on a la possibilité de faire autre chose. Les architectes stars ne s’en sont pas privés.

Est-ce que cela ne pose pas le problème de la pérennité des matériaux et donc de ces bâtiments ?

Cette nouvelle architecture est pensée pour se renouveler plus fréquemment. Par exemple, si on la remplace tous les 50 ans, ce n’est pas forcément grave à partir du moment où on utilise des matériaux biodégradables. L’idée n’est plus de construire pour le futur. D’ailleurs si on construisait aujourd’hui l’équivalent du Louvre ou de Versailles, on se retrouverait face à des coûts qu’on ne pourrait pas assumer.

Hormis les chantiers urbanistiques à grande échelle que l’on vient de citer, il y a également, de ci-de là, des réalisations remarquables, dont certaines pensées par de grands architectes...

Il y a par exemple quelques hôtels particuliers en pierre, brique et métal sur le boulevard Arago. Ils sont l’œuvre de Paul Nelson, un grand architecte français d’origine américaine, élève d’Auguste Perret, qui a aussi construit la maison de Braque. Il y a aussi quelques très beaux immeubles haussmanniens, concentrés vers les Gobelins, les boulevards Saint-Marcel et de l’Hôpital. Je pense surtout à l’un d’eux, à l’angle de l’avenue d’Italie et de la rue de Tolbiac, occupé aujourd’hui en rez-de-chaussée par l’enseigne Maisons du Monde. Nous pouvons aussi y trouver du Portzamparc et du Le Corbusier, mais les commandes que ce dernier a honorées se situent par pur hasard dans le 13e, et uniquement dans une démarche solidaire avec l’Armée du Salut. D’ailleurs voilà, il y a une présence massive d’architectes très connus sur le 13e, mais ce n’est pas par volonté. C’est tout simplement un endroit où on ne subissait pas de grosse pression foncière et où il y avait beaucoup à faire. C’est ce qui fait sa richesse aujourd’hui.

 

*1

Le 13e arrondissement, une ville dans Paris, 1993

Le guide du promeneur, 13e arrondissement, Paris, 1996

Histoire d’un quartier de Paris, de la Salpêtrière à la Bibliothèque nationale de France, 2000

 

La suite du dossier est à retrouver dans Le 13 du Mois #42

 

 

 

 

Publié par Virginie Tauzin  le 15 Juillet 2014
 

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